mardi 10 novembre 2009

Chapitre VII : Magie des drapeaux (1988)

La musique militaire m'émeut, à qui oserais-je le dire ? Mon grand-père m'a appris à l'aimer. Durant ses cinq ans de vie militaire, il n'a pas connu le pire. Artificier professionnel en 1914, on l'appelait pour déminer. Il était vétéran et donc à l'arrière. Et je dis à mon ami militaire et musicien : "A la guerre, si on te fait prisonnier, dis que tu es musicien".
En 1914, la guerre fit de grands progrès technologiques. Les soldats s’habillèrent en bleu horizon pour ne pas être vu (1).
Mais ce bleu souligne leur innocence, ils ne savent plus très bien pourquoi ils sont là. Ils cherchent une issue dans le bleu du ciel, là où ils pourraient voir leur saint bleu, et sur le champ de bataille ils meurent en rangs serrés dans leur manteau bleu clair.

Aujourd'hui, l'étendard de leur linceul flotte plein d'espoir au palais des Nations Unies. L’Organisation des N.U. est le fruit de nos deux guerres mondiales. Son drapeau bleu drape le monde invisible des morts à la guerre pour nous rassembler autour d’une nouvelle aire de paix et de développement.
Au cours de ces deux guerres mondiales, de nombreux peuples partagèrent les mêmes défunts. Place de l'Etoile à Paris, sous l'Arc de Triomphe, le soldat inconnu est un sans papier de la couleur noire des fumées de la guerre. Symboliquement il a rejoint la négritude présente au front. Rappelons le sacrifice des régiments africains en bleu horizon.
Il a rejoint les génies des morts amis et ennemis qui nous rassemblent autour de l’étendard bleu de l'armée des casques bleus.
Ce drapeau des N.U. consacré par les peuples et les morts est une anticipation symbolique de l'avenir. L'Afrique a trois couleurs préférentielles, ce sont celles du paradis chantées par Bob Marley ; le vert de l'espérance des hommes du désert et de l'Islam, le jaune de la joie, le rouge de la victoire. Au Pérou, le drapeau des indiens est l'arc-en-ciel dont les couleurs sont l'ultraviolet, le violet, l'indigo, le bleu, le vert, le jaune, le rouge, l'infrarouge. En Haïti, l’arc-en-ciel est le serpent de la finance et du crédit qui descend du feu du ciel pour boire l'eau au pied de la divinité féminine: la Terre.
Dans l'arc-en-ciel, bleu tu es au bord du violet, et je te rappellerai à qui appartient le violet. Tu es au bord du vert, de ce vert universel de l'espérance du paradis de la verdure.
Nous avons le violet à notre limite, il s'obtient dans un mélange de bleu et de rouge, de bleu et de victoire, de bleu et de sueur et de sang. Le violet est la couleur des morts et du Christ ; du saint bleu égaré à la guerre (2).
La violence et le violet ont la même première syllabe : le viol...et de la liberté, et de l'amour, et de la vie. Le violet passe dans l'ultra, disparaît dans l'au-delà. Il ressuscite à chaque printemps dans la douce couleur mauve ou pourpre d'une éphémère anémone ; plantée par Aphrodite avec ses larmes mélangées à la dernière goutte du sang de son amant, Adonis, tué par un sanglier envoyé par le jaloux Arès, dieu de la guerre.
De l'autre côté nous avons le vert. Il est le mélange du bleu et du jaune. Sous la bannière bleue des Nations Unies, notre génie militaire peut faire du vert dans le désert. Ce sont les luxueuses lumières technologiques de notre siècle frappant la terre d'Afrique avec l'eau, les énergies et l'inox.
Les militaires, légions des pseudo-anges déchus, retrouveront le sang bleu de leur noblesse perdue s'ils mettent leur génie au service de la féminité de la terre dorée du Sahel.
En 1984, place des Nations Unies à Ouagadougou, l'étoile jaune de la joie se reflète toute dorée dans l'éclair des couleurs vertes et rouges du Burkina. Force potentielle révolutionnaire, éclair pénétrant et surgissant de la terre mère. Avec la volonté de ses militaires, montons l'étoile plus haute pour que la couleur bleue sorte du Faso, pour que l'acier reçoive l'arc électrique de Chango (3), pour que le génie créateur des mécaniciens d'Ogoun installe rails et canalisations dans tout le pays. Pour que la déesse "Terre" féminine et coquette soit avec tous les saints de l'arc-en-ciel du prisme des lumières de la Francophonie.
En 1985, les deux éclairs ont la couleur bleu clair du drapeau des Nations Unies et ils découpent les silhouettes de deux hommes, l'âme bleue de deux soldats inconnus, si inconnus que l'un est noir, l'autre est blanc, ressuscités dans la jeune génération des pionniers aux bérets jaunes, loin des stériles et coûteuses conversations onusiennes de New York, de Genève, de Rome et de Paris, pour semer des étoiles d'or aux épines des arbres de Noël de la sécheresse.


(1) En 1914, ils commencèrent par porter les traditionnelles couleurs rouge et bleu. Deux couleurs trop voyantes dans une guerre moderne où il ne faut pas être vu. De leur côté, les Allemands étaient habillés en vert, les Français choisirent certainement le bleu horizon pour se distinguer d'eux. Malheureusement la cible était encore trop belle. Plus que le bleu, ce mot "horizon" a dû être aimé des soldats et a ouvert un espoir dans leur cœur. L'horizon est une ligne de fuite, d'échappement, c'est le bout du tunnel d'une vie coincée, surtout en temps de guerre, sur un champ de bataille. Pour l'esprit, l'horizon, plein de réverbération entre la terre et le ciel, mélange la vie terrestre à la vie céleste.
(2) Le saint de la guerre est saint Jacques le Majeur sur son cheval blanc, le Matamore de la culture espagnole qui représente pour les Haïtiens Hogou Ferraille. Ces derniers ont adopté en particulier cette image colombienne de Cali que vous voyez en dessous. A Cuba il est Ogoun sous les traits de saint Pierre. Dans la culture anglaise il est saint Georges.
Pour un esprit animiste il est apparu à l'ère du fer, depuis il nous domine. C’est un dénominateur commun à nous tous, un archétype. Mais il est aussi prisonnier de l’entrefer du faire et des affaires à la limite de l’enfer des excroissances polluante, cancérigène et climatique de la croissance.
(3) Chango : dieu africain des énergies.

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